La sexologie rejoint depuis peu le cartel des sciences humaines qui traitent des questions qui nous concernent tous, à égalité, femmes et hommes d’une société démocratique. Une science qui nous invite de façon à la fois manifeste et confidentielle à réfléchir au sujet de notre vie privée. Cependant, elle reste en même temps la moins connue voire, la plus redoutée, mystérieuse, énigmatique. Nous avons décidé d’en savoir plus avec Jacques Waynberg, docteur en médecine, sexologue, psychothérapeute et criminologue, qui nous a ouvert les portes de son cabinet.

 

Paratonnerre : La sexualité est un acte naturel et pourtant elle génère très souvent dans nos sociétés un complexe, une culpabilité voire un tabou, alors qu’elle est à l’image de notre identité. La sexualité est-elle un des plus grands dilemmes de nos vies?

 

W. Parler d’intimité, d’émotions de nature sexuelle, expose d’emblée à des difficultés d’ordre linguistique. La langue maternelle de chaque peuple n’est pas seulement le principal instrument de communication au sein d’une même société, elle véhicule aussi ses propresJW84752015 représentations du monde, du bonheur, des tabous, rendant illusoire le désir d’élaborer une compréhension universelle de l’amour charnel. Le langage rétrécit le champ de la pensée et en français, l’omniprésence du seul mot de « sexualité » pour désigner tout ce qui a trait au sexe et à ses usages, symboliques ou vécus, est particulièrement réducteur, responsable d’interprétations erronées.

Il faut absolument contester cette habitude et distinguer deux ensembles de phénomènes qui se manifestent certes à partir d’une même fonction génitale, mais qui sont bien différents, presqu’étrangers l’un à l’autre. Qualifions de sexualité la biologie de la grossesse à la naissance – la physiologie de la reproduction et ses avatars – et d’érotisme, le versant principalement intellectuel, émotionnel, symbolique de comportements destinés non plus seulement à la procréation mais au partage de l’orgasme : un art d’aimer.

Le dilemme, autrement dit le risque d’observer que ces deux aspects de la sexualité humaine soient finalement incompatibles, fonde en effet une des principales inquiétudes de tout un chacun, partout et depuis toujours. Les besoins, les pulsions, les envies de jouir, sont hypothéqués par la question de la fertilité, mais aussi par les aléas de la vie affective, l’état de santé, le niveau d’apprentissage gestuel, le talent à embellir ou non des conduites instinctives… a priori inesthétiques.

En fin de compte, différencions le sexologue de l’érotologue. Le sexologue de nos jours se présente comme le praticien d’une médecine du sexe, trop peu attentif à une prise en charge globale des plaignants qui se confient à lui.  Le concept de santé sexuelle, placé de surcroît sous la tutelle de l’industrie pharmaceutique, brouille l’analyse de comportements aussi complexes que fascinants, réduisant leur accompagnement à des dosages hormonaux et des prescriptions d’aphrodisiaques…

Le dilemme encore, entre la fadeur habituelle du quotidien et la soif d’idéal, est donc amplifié par le mode de pensée actuel, basé sur la recherche irréfléchie de la performance. Dans tous les domaines de l’existence, et bien évidemment en ce qui concerne la vie privée, il n’est plus concevable de douter de son « droit » au bonheur. Un droit naturel, nécessaire, normal, équitable, qui s’oppose évidemment à une conception trop élitiste, inégalitaire de la sexualité érogène. Mais la cruauté parfois du vécu amoureux ne démontre-t-elle pas que l’on a le bien-être qu’on mérite ?

La sexologie que je promeus est un humanisme, une culture intégrée dans l’histoire de toutes les sociétés, de tout temps. De la paléontologie aux neurosciences, l’Homme est à la fois l’acteur et le témoin de son propre destin, dans une continuité de pensée qui ne cesse d’augmenter son angoisse au fur et à mesure qu’il mesure sa vulnérabilité. J’appelle primitivisme cette démarche de savoir qui abolit les frontières entre les sciences, loin du formatage que tente d’imposer l’une ou l’autre selon les époques. De nos jours, c’est au tour du discours médical de tenter d’exercer son hégémonie.

 

Paratonnerre : Vous avez une large palette de compétences, vous êtes sexologue, psychothérapeute mais aussi criminologie. Derrière le crime, la sexualité n’est jamais loin?

 

W. En effet, la criminalité sexuelle est la vitrine des fractures sociales. Aucune civilisation – autant qu’on puisse le juger en l’absence de témoignage écrit de plus de 5000 ans – n’a pu organiser un mode de vie sans contraintes, sans règles, sans prohibitions. La sexualité y a tenu un rôle primordial car les enjeux démographiques qui lui sont dévolus ont été longtemps un sujet tabou, c’est-à-dire indiscutable. Aujourd’hui, le contrôle des naissances étant moins préoccupant, le slogan attaché aux évènements des années 1968 « il est interdit d’interdire« , n’en demeure pas moins un vœu libertaire, irréaliste.

On ne s’affranchit pas du code moral ambiant uniquement par passion, le refus d’obéir à la discipline collective se manifeste surtout par des accès de violence qu’illustrent parfaitement les agressons sexuelles, les viols, commis individuellement ou en bande. Ce qui est essentiel de comprendre c’est que ces manifestations de brutalité prennent racine dans le déclin des valeurs promulguées par le corps social. L’exemple le plus marquant est celui des viols en tant de guerre. Les conflits armés prennent vraiment la sexualité en otage, en font une arme de déshumanisation de l’ennemi, que les femmes incarnent à leur corps défendant.

 

Paratonnerre : Bien que marginale, la pédocriminalité au féminin existe. A-t-elle des points communs avec la pédophilie masculine?

 

W. Evidemment, les femmes ne sont pas que des victimes potentielles du vandalisme sexuel masculin, elles sont elles aussi capables de commettre des méfaits tout aussi graves. Les plus indignes concernent les agressions et les viols sur mineurs. A ce stade il n’y a aucune différence entre hommes et femmes et la sanction pénale est a priori d’application égale. Néanmoins, plus rare, surtout plus secrète, la pédophilie féminine jette un tel discrédit sur l’image sacrosainte de la mère, qu’elle est parfois plus sévèrement punie.

L’expertise criminologique reste très dubitative, tant ces excès bousculent les idées reçues. Plus encore que les criminels masculins, les femmes résistent à l’exploration des motivations de leur passage à l’acte. Cette part obscure, extrême, de leur fonction érogène, n’ouvre aucune piste fiable pour comprendre des comportements si éloignés des normes. Cet éloignement rappelle cependant que la sexualité humaine est fondamentalement tributaire d’un patrimoine génétique partagé à plus de 99% avec les primates… Ces sources animales de nos conduites instinctives sont habituellement censurées par l’éducation et les différents pouvoirs (religieux, politique) qui calibrent les pulsions qu’elles engendrent. Cette « part du singe » peut se révéler incidemment et provoquer une sorte de retour véhément à l’état sauvage.  Sa prise en charge est aléatoire, décevante, comme toutes les tentatives, il faut bien l’avouer, de lutte contre la récidive des perversions sexuelles.

 

Paratonnerre : En quoi peut-on dire que la sexologie est liée à la liberté individuelle ? Une raison de comprendre pourquoi le nazisme a persécuté les sexologues, et comment l’étude de l’érotisme a été interdite sous le régime communiste soviétique ?

 

W. Absorbée par sa vocation thérapeutique la communauté des sexologues n’est pas consciente de la chance qu’elle a aujourd’hui de pouvoir exercer en toute liberté. L’évolution du corps social vers une démocratie à l’occidentale, c’est-à-dire qui accepte et garantit le déploiement des aspirations individuelles, crée un espace de parole et de recherche sur la sexualité qui n’a pas toujours été toléré et qui peut être même, ailleurs de nos jours encore, inimaginable. Ce constat s’explique du seul fait que les questions que nous abordons touchent indirectement à la famille, chasse gardée du pouvoir politique.

Rien d’étonnant dès lors que l’on déplore des épisodes dramatiques de son histoire récente. Développée en Allemagne dès la fin du XIXième siècle par des médecins juifs la sexologie a été menacée puis saccagée sous l’emprise du régime nazi dès les années 1930. De même, lors de plusieurs séjours en URSS dans les années 70-80  j’ai pu rencontrer des témoins de l’époque stalinienne qui m’ont relaté comment ils durent sauvegarder leur fonctions à l’Université en maquillant leur pratique de sexologues en spécialistes de la stérilité.

Oui, la sexologie médicalisée et plus encore l’érotologie, font valoir la primauté de la personne sur la collectivité, du moins pour ce qui a trait à la sphère intime, mais c’est déjà le signe précurseur d’une échappée libérale, insupportable pour des régimes tyranniques.

 

Paratonnerre : Est-il possible de comprendre la sexualité féminine lorsqu’on est un homme, et la sexualité masculine quand on est une femme?

 

W. La première condition est d’être à l’écoute d’autrui en exerçant une empathie apaisante mais mesurée. Autrement dit, le genre du professionnel est une donnée qui passe au second plan après avoir fait sentir à nos interlocuteurs que nous avons compris leur demande, que l’on sait de quoi il d’agit, que l’accompagnement de leur histoire nous est connu. Bien sûr, appréhender les subtilités émotionnelles féminines quand on est un homme, et inversement, déchiffrer les faux-fuyants des aveux masculins est imparfait pour une femme, mais ce qui rend possible de minimiser ce handicap c’est la répétition, la ressemblance, la reconnaissance des traits communs entre toutes ces plaintes.

 

Malgré toute l’expérience professionnelle accumulée, néanmoins, c’est l’expérience de la vie tout court qui va déterminer la capacité de tout thérapeute à tenir le pari d’une revue de détail d’une histoire personnelle qu’une conversation, aussi cadrée soit-elle, ne peut qu’effleurer. D’où cette notion assez déroutante pour des novices, que l’âge est finalement plus important que le genre. C’est la maturité du praticien qui permet de prendre ses distances par rapport à ses convictions, à ses représentations de la norme.

 

Paratonnerre : A ce propos pourquoi le schéma préliminaires-pénétration est-il devenu la règle de nos rapports sexuels?

 

W. Ce n’est pas une règle, c’est une manie. Revenons à notre point de départ, à ce constat que la sexualité humaine, si dépendante de celle de l’animal, s’est doté d’un langage érotique destiné à l’enrichir, à l’éloigner de cet héritage encombrant : ce supplément d’âme est en effet un prélude à l’accouplement qu’il est sensé faciliter et enjoliver. Ce n’est pas aussi original que prévu car les bêtes aussi communiquent à la période des « chaleurs », du rut, de
preliminairefaçon souvent complexe. Or, chez les humains l’enchaînement des attouchements et des postures peut être escamoté, raccourci, réduit à sa plus simple expression, ce qui rend ces » préliminaires » plus grossiers et plus frustes que chez les animaux.

Non, le principal malentendu est ici de nouveau d’ordre verbal. En dénommant ainsi les premiers échanges sensuels d’un couple, l’usage courant du terme de préliminaire imprime l’idée d’une étape préalable à l’accès au coït, coït conçu comme indispensable pour la grande majorité des consommateurs. C’est comme s’il y avait une sexualité à deux vitesses, deux échelons de comportements, l’un mineur à vocation appétitive, et le second plus noble, destiné à conduire vers l’orgasme. Vision évidemment réductrice et dommageable de la sexualité érogène. Le coït en est même le maillon le plus faible.

 

 

Paratonnerre : En tant que sénior, préoccupé par des érections défaillantes en effet, peut-on avoir une démarche érotique épanouie sans l’aide de viagra?

 

W. L’érotisme pourvoit à une quête intense de plaisir, avec ou sans érection. La fonction érectile a deux rôles principaux, mis à part ses attributs symboliques de la virilité : permettre l’insémination de l’appareil génital féminin et amplifier l’excitation. Or, l’orgasme masculin peut s’en passer. Un homme âgé, un sénior donc, peut jouir sans érection. Dans les suites postopératoires d’un cancer de la prostate, l’orgasme est plausible… mais pas dans n’importe quel contexte relationnel. Les pharmaciens seront toujours mis en échec si la partenaire ne donne pas son feu vert à l’accomplissement d’un acte d’amour convoité et consenti. C’est la possibilité du couple de s’adapter à de nouvelles conditions d’exercice de leurs besoins et de leur imagination qui fait office d’aphrodisiaque. L’anatomie ne fait pas le bonheur. Les érections médicamenteuses sont souvent vouées à l’échec parce que les prescripteurs n’interrogent pas correctement leurs patients. Question-clé : qui en a véritablement envie de cette érection ? L’homme seul qui consulte, ou bien l’épouse frustrée, résolue à conserver la plénitude de ses attributions ?

La sexologie est en fin de compte une science du compromis, de la médiation, ou encore une pédagogie de la réconciliation. Arbitre des conflits sentimentaux, le sexologue est aussi pris à témoin par l’ensemble du corps social comme dépositaire d’un droit au bonheur : la tâche est ingrate mais louable…

DrWaynbergPour contacter le Docteur Waynberg :

0 608 670 603

waynberg@club.fr

www.sexologies.fr

PARTAGER